Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/563

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et l’on ne pouvait douter qu’à la première occasion ils ne sortissent de leur repos pour étendre encore leurs possessions, et n’envahissent le reste de la Gaule. César s’aperçut que ses capitaines, les plus jeunes surtout et les plus nobles, qui ne l’avaient suivi que dans l’espoir de s’enrichir et de vivre dans le luxe, tremblaient à l’idée d’une telle guerre. Il les assembla, et leur dit qu’ils pouvaient quitter le service : « Lâches et mous comme vous êtes, dit-il, à quoi bon vous exposer à contrecœur ? Je n’ai besoin, ajouta-t-il, que de la dixième légion pour attaquer les Barbares ; car les Barbares ne sont pas des ennemis plus redoutables que les Cimbres ; et je ne suis pas un plus mauvais général que Marius. » La dixième légion, flattée de cette marque d’estime, lui députa quelques officiers, pour lui témoigner sa reconnaissance ; les autres légions désavouèrent leurs capitaines ; et tous, également remplis d’ardeur et de zèle, le suivirent pendant plusieurs journées de chemin, et allèrent camper à deux cents stades[1] de l’ennemi. Leur arrivée rabattit beaucoup de l’audace d’Ariovistus ; car, au lieu qu’il s’était flatté que les Romains ne soutiendraient pas l’attaque des Germains, il les voyait fondre sur lui, contre toute attente : il fut étonné de la hardiesse de César, et s’aperçut qu’elle avait jeté le trouble dans son armée. Mais, ce qui émoussa davantage encore la pointe de leur courage, ce furent les prédictions de leurs prêtresses, qui prétendent deviner l’avenir par le bruit des eaux, par les tourbillons que les courants font dans les rivières : elles défendaient qu’on livrât la bataille avant la nouvelle lune. César, averti de cette circonstance, et qui voyait les Barbares se tenir en repos, crut qu’il aurait bien plus d’avantage à les attaquer dans cet état d’abattement, qu’à rester lui-même oisif, et à attendre

  1. Environ dix lieues.