Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/631

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orateurs demandés par Alexandre. « J’ai souvent donné au peuple de sages et salutaires conseils, dit Phocion ; mais on ne les suit point. »

Il y avait alors à Athènes un homme que sa longue et épaisse barbe, son manteau usé, et son air triste et sévère avaient fait surnommer le Lacédémonien : il se nommait Archibiadès. Un jour, dans une assemblée du peuple, Phocion, fatigué des contradictions qu’il éprouvait, appela Archibiadès, pour qu’il confirmât, par son témoignage, la vérité de ce qu’il disait ; mais Archibiadès se leva, et parla dans le sens du peuple, et ne dit que ce qui pouvait plaire aux Athéniens. « Archibiadès, dit Phocion, que ne faisais-tu couper cette barbe, si tu voulais faire un tel métier ? » Aristogiton le sycophante était toujours brave dans les assemblées, et excitait le peuple à prendre les armes ; mais, quand on fit le rôle des citoyens capables de servir, il se rendit à l’assemblée appuyé sur un bâton, et une jambe enveloppée. Phocion, qui était assis sur son tribunal, le voyant venir de loin, cria au greffier : « Écris Aristogiton, boiteux et lâche. »

En considérant toutes ces réponses, je m’étonne comment et pourquoi un homme rude et sévère ainsi que l’était Phocion, eut le surnom de doux ; mais, s’il est difficile, il n’est pourtant pas impossible que le même homme soit à la fois doux et austère, comme certains vins qui sont en même temps doux et piquants. Au contraire, on trouve des hommes qui semblent doux, quoiqu’en réalité ils soient aigres et méchants. Cependant l’orateur Hypéride disait un jour au peuple : « Athéniens, ne regardez pas si je suis aigre, mais seulement si je le suis gratuitement ; » comme si le peuple ne craignait que ceux qui se rendent fâcheux et insupportables par avarice, et que sa haine ne fût pas plus grande encore pour ces hommes que l’insolence, l’envie, la colère ou l’opiniâtreté portent à abuser de leur pouvoir. Quant à Pho-