serait déjà fait sentir par toute la terre. » Phocion, voyant le peuple lever la tête, et penser à introduire des nouveautés dans le gouvernement, faisait tous ses efforts pour le contenir ; et, comme plusieurs orateurs couraient à la tribune, et criaient qu’Asclépiadès avait dit vrai, et qu’Alexandre était réellement mort : « Mais s’il est mort aujourd’hui, dit-il, il le sera demain et encore après-demain ; ainsi nous aurons le temps de délibérer à loisir et avec plus de sûreté. » Quand Léosthène, par ses intrigues, eut jeté la ville dans la guerre Lamiaque[1], et qu’il vit la peine qu’en ressentait Phocion, il lui demanda, d’un air ironique, quel bien il avait fait à Athènes pendant le grand nombre d’années qu’il avait commandé. « En est-ce donc un si petit, répondit Phocion, que les citoyens morts durant cet intervalle aient été enterrés dans les tombeaux de leurs pères ? » Léosthène continuait toujours de parler avec autant d’audace que de vanité. « Jeune homme, lui dit Phocion, tes discours ressemblent aux cyprès : ils sont grands et élevés, mais ils ne portent point de fruits. » Alors Hypéride, se levant, demanda à Phocion : « Quand donc conseilleras-tu aux Athéniens de faire la guerre ? — Ce sera, répondit Phocion, quand je verrai les jeunes gens résolus à ne point abandonner leurs rangs, les riches contribuer aux frais de la guerre, et les orateurs s’abstenir de voler le trésor public. »
On admirait généralement la belle armée que Léosthène avait mise sur pied ; mais, quelqu’un ayant demandé à Phocion comment il la trouvait, il répondit : « Elle me semble très-belle pour le stade[2] ; mais je crains le retour, Athènes n’ayant plus les moyens d’avoir ni argent, ni
- ↑ La guerre des Grecs contre Antipater, ainsi nommée de la ville de Lamia en Thessalie, où s’était retiré Antipater, battu par Léosthène.
- ↑ Allusion aux jeux de la course Le stade était la course simple, de la barrière à la borne ; mais ce n’était que la moitié de la course proprement dite, et il fallait revenir de la borne à la barrière.