Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/674

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Il était encore à l’armée lorsque son frère, qui se rendait en Asie, tomba malade à Émis[1], ville de Thrace. On en écrivit aussitôt à Caton. La mer était agitée par une violente tempête ; et il n’y avait point dans le port de vaisseau d’une grandeur suffisante : Caton se jette dans un petit navire marchand, et part de Thessalonique avec deux de ses amis et trois esclaves. Il faillit être submergé ; et, ne s’étant sauvé que par un bonheur inespéré, il arriva à Énus comme son frère venait de mourir. Il ne soutint pas cette perte avec la fermeté d’un philosophe : il s’abandonna aux plaintes et aux gémissements ; il se jeta sur le corps de son frère, et le serra étroitement dans ses bras, avec toutes les démonstrations de la douleur la plus vive ; ce n’est pas tout : il fit, pour ses funérailles, des dépenses extraordinaires ; il prodigua les parfums, il brûla sur le bûcher des étoffes précieuses, et éleva sur la place publique d’Énus un tombeau de marbre de Thasos[2], qui coûta huit talents[3]. Quelques personnes trouvèrent cette dépense répréhensible, comparée à la modération qu’observait Caton en toutes choses ; mais ils ne considéraient pas quelle douceur et quelle sensibilité il joignait à une fermeté que ne pouvaient ébranler ni voluptés, ni crainte, ni sollicitations impudentes.

Plusieurs villes et plusieurs princes lui envoyèrent de riches présents, pour honorer les obsèques de son frère. Caton n’accepta d’argent de personne, et ne prit que les parfums et les étoffes, dont même il paya le prix à ceux qui les avaient envoyés. Institué héritier avec la fille de Cépion, il ne porta en compte, dans le partage des biens, aucune des sommes qu’il avait dépensées pour les funérailles. Et, malgré ce désintéressement, il s’est trouvé un

  1. Autrefois nommée Absynlhe, près de l’embouchure de l’Hèbre.
  2. Thasos, île située près de la côte méridionale de la Thrace.
  3. Environ quarante-huit mille francs de notre monnaie.