Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/144

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ser un théâtre sur les terres mêmes des ennemis, et pro-posa pour ces acteurs un prix de quarante mines[1] : il passa une journée entière à voir ce spectacle ; non qu’il y prît grand plaisir, mais il voulait insulter aux Mégalopolitains, et leur faire voir, par ce mépris affecté, combien il se croyait supérieur à eux. Du reste, de toutes les armées des Grecs et des rois, celle des Spartiates était la seule qui n’eut pas à sa suite des mimes, des jongleurs, des danseuses, des joueuses de luth : leur camp était pur de toute espèce de bouffonnerie, de dissolution et d’assemblées de débauche. Les jeunes gens passaient la plus grande partie de leur temps à s’exercer, et les vieillards à les instruire ; et, si quelquefois ils étaient de loisir, leurs jeux consistaient en plaisanteries agréables, en quelques traits de fine raillerie propres aux Spartiates, qu’ils se lançaient réciproquement. Quant à l’utilité de ces sortes de jeux, nous l’avons fait voir dans la Vie de Lycurgue[2].

Cléomène était lui-même leur maître et leur précepteur à tous : sa vie simple et frugale, exempte de toute recherche, et qui n’avait rien qui le distinguât du moindre de ses sujets, était comme un exemple public de tempérance. Il s’acquit par là un grand crédit et beaucoup de réputation chez les différents peuples de la Grèce ; car ceux des Grecs que leurs affaires appelaient à la cour des autres rois n’admiraient pas tant leurs richesses et leur faste qu’ils n’étaient révoltés de leur fierté, de leur orgueil, et de la dureté avec laquelle ils traitaient ceux qui avaient à leur parler : au contraire, quand ils allaient vers Cléomène, qui n’avait pas moins qu’eux et le titre et la dignité de roi, ils ne voyaient là ni robes de pourpre, ni ameublement somptueux, ni lits

  1. Environ trois mille six cents francs de notre monnaie.
  2. Cette Vie est dans le premier volume.