Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/319

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on ne voyait dans toute la ville que thyrses couronnés de lierre ; on n’entendait que le son des flûtes, des chalumeaux, et autres instruments. On l’appelait Bacchus bienfaisant et plein de douceur. Et en effet, il était tel pour quelques-uns ; mais pour le plus grand nombre c’était Bacchus Omestès[1] et Agrionien[2]. Il dépouillait de leurs possessions des hommes distingués par leur naissance, et les donnait à de vils flatteurs, à des gens infâmes, qui demandaient souvent le bien de personnes vivantes, comme si elles eussent été mortes, et qui étaient sûrs de l’obtenir. Il donna, dit-on, la maison d’un citoyen de Magnésie à un de ses cuisiniers, parce qu’il lui avait apprêté un excellent repas. Enfin il imposa aux villes un second tribut ; et alors l’orateur Hybréas, qui défendait les intérêts de l’Asie, osa lui dire, d’une manière plaisante et assez conforme au goût d’Antoine : « Si tu as le pouvoir d’exiger de nous deux tributs par an, tu as donc aussi celui de nous donner chaque année deux étés et deux automnes. » Mais, comme l’Asie avait déjà payé deux cent mille talents[3] il ajouta, avec un courage qui n’était pas sans danger pour lui : « Si tu n’as pas reçu les sommes considérables que nous avons payées, demandes-en compte à ceux qui les ont levées ; mais si, les ayant reçues, tu ne les as plus, nous sommes perdus sans ressource. »

Cette parole d’Hybréas piqua vivement Antoine ; car il ignorait la plupart des désordres qui se commettaient en son nom. Cette ignorance venait moins de son indolence que d’une simplicité naturelle qui le portait à avoir une confiance sans borne en ceux qui l’obsédaient ; car

  1. On immolait des hommes à Bacchus Omestès ; voyez la Vie de Thémistocle dans ! e premier volume.
  2. Ce surnom de Bacchus vient du mot ἄγριος, sauvage.
  3. Environ douze cents millions de francs.