Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/39

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peux maintenant, lui dit-il, jouer le rôle de Créon dans la tragédie[1], et faire jeter ce corps sans sépulture. Ô Neptune ! ajouta-t-il, je sors encore vivant de ton temple ; mais Antipater et les Macédoniens n’ont pas laissé ton sanctuaire même pur de leurs profanations. » Comme il disait ces mots, il se sentit trembler et chanceler : il demanda qu’on le soutînt pour marcher ; et, au moment où il passait devant l’autel du dieu, il tomba, et rendit l’âme en poussant un soupir.

Ariston rapporte que Démosthène avait pris le poison, comme nous venons de le dire, en suçant le bout du roseau. Un certain Pappus, dont les Mémoires ont servi de matériaux à Hermippus pour son histoire, dit que, lorsque Démosthène fut tombé au pied de l’autel, on trouva dans ses tablettes un commencement de lettre ainsi conçu : « Démosthène à Antipater ; » mais il n’y avait que ces seuls mots. Comme on était surpris qu’il fût mort si promptement, les Thraces qui étaient à la porte racontèrent qu’ils lui avaient vu tirer d’un linge quelque chose qu’il avait porté à sa bouche ; ils avaient cru que c’était de l’or qu’il avalait, mais c’était du poison. Une jeune esclave qui le servait, et qu’Archias interrogea, dit que Démosthène portait depuis longtemps sur lui ce nouet de linge, comme une amulette. Ératosthène assure qu’il avait toujours du poison dans un anneau creux, qu’il portait en guise de bracelet. Mais il n’est pas nécessaire de rapporter les différentes traditions des historiens sur le genre de sa mort, elles sont en trop grand nombre : je ne dois pourtant point omettre celle de Démocharès, parent de Démosthène[2]. Suivant lui, Démosthène ne mourut pas du poison : les dieux, par une faveur et une

  1. Allusion à la manière dont Créon, dans l’Antigone, traite le corps de Polynice.
  2. Il était son neveu, fils d’une de ses sœurs, et avait composé une histoire de ce qui s’était passé de son temps à Athènes.