Page:Poésies de Malherbe.djvu/14

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et Désivetaux avait coutume de dire qu’il demandait l’aumône, le sonnet à la main. Si le mot était piquant, le reproche n’était pas juste. « Si je n’ay autre avantage, écrit Malherbe à Racan, pour le moins ay-je celuy de n’être point venu à la cour demander si l’on avoit affaire de moi. » — Il avait écrit plus haut : « J’ai le courage d’un philosophe pour les choses superflues ; pour les nécessaires, je n’ay autre sentiment que d’un crocheteur. Il est aisé de se passer de confitures ; mais de pain, il en faut avoir ou mourir. »

Henri IV fit son entrée à Paris en 1594, Malherbe en 1605.

Henri IV avait mis la paix dans la société, il restait à l’établir dans les mots : ce fut l’œuvre de Malherbe. Ses amis se divertirent à le surnommer le tyran des mots et des syllabes ; il en fut plutôt le législateur. Comme poète, sa place est belle encore ; comme organisateur de la langue, elle est plus haute.

Au bon sens pratique du génie gaulois Henri IV était venu mêler la vivacité gasconne, et de ce mélange était né, après l’apaisement de la guerre civile, ce qu’aujourd’hui nous appelons l’esprit français. Malherbe essaya de le naturaliser dans les livres.

Lorsqu’il vint se fixer à Paris, le désordre était grand au pays de poésie. L’école de Ronsard, avec la généreuse imprévoyance de l’innovation, avait jeté dans la langue littéraire une foule d’expressions grecques et latines, de tours nouveaux, d’allures inaccoutumées. Régnier, libre écolier de cette réforme poétique, avait bien senti le besoin, pour rester français, de retremper son génie satirique aux sources limpides du gaulois de Marot ; mais le genre dans lequel il s’exerçait ne tenait pas en poésie un rang assez haut pour avoir sur le mouvement des esprits une vaste influence. Régnier serait demeuré une merveilleuse exception dans l’histoire de notre littérature, et l’école de Ronsard, pro-