Page:Poésies de Malherbe.djvu/15

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longeant son règne, eût ajourné long-temps encore l’avènement de la véritable langue de France.

Malherbe vint donc fort à propos pour discipliner à la française cette armée de mots de tout âge et de toute contrée. Par un heureux hasard qui rendit sa réforme décisive, il porta cette limpidité de la pensée et cette propriété de l’expression dans le genre le plus élevé, dans celui où le poète, échappant par le droit de l’inspiration aux conditions de l’idiome vulgaire, a plus de facilité à corrompre une langue qui vient de naître. Il se rencontra un poète lyrique assez maître de son enthousiasme pour rompre brusquement avec toute forme qui lui parût hostile au génie de notre langue. C’est plaisir de le voir faire ; il met en pièces la grande phrase latine où s’émoussait la vivacité de l’esprit français ; il revise, il exclut, il admet. N’ayez crainte ; le génie des écrivains originaux saura bien où retrouver les bons épis que le souffle de Malherbe disperse pêle-mêle avec la paille stérile. Molière et La Fontaine ne seront pas en peine de savoir où reprendre le mot naïf et le tour gaulois. Saint-Simon ne perdra pas beaucoup de temps à chercher le secret perdu de cette admirable phrase qui embrasse si largement et revêt, pour ainsi dire, avec tant de richesse et d’ampleur tous les membres de la pensée. Ce qu’il fallait à l’époque de Malherbe, ce n’était pas une langue pour les hommes de génie, qui ne sont jamais embarrassés pour se créer la leur ; ce qu’il fallait, c’était une langue pour tous, une langue pour la France : et si Malherbe a voulu la faire claire, limpide et concise, convenons qu’il y a merveilleusement réussi. Cette langue une fois faite, il l’appliqua à la poésie, mais à la façon de ces dialecticiens habiles qui, peu soucieux de la vérité en elle-même, n’abordent la métaphysique que pour essayer leur méthode. Quand Malherbe s’avise d’être poète, béni soit Dieu ! Mais sa grande affaire, c’est la langue ; il y mit tout son génie. C’était faire le titre de grammairien presque