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MALHERBE.

et homme de génie, c’est un sacrifice qu’on peut faire aisément.

Eh bien ! parfois André Chénier se montre en même temps, dans ses réflexions littéraires, homme supérieur et critique d’un grand sens. Je ne veux pas dire, sans doute, que là déjà se révèle avec éclat celui qui devait prendre plus tard un rang si élevé dans les lettres. Assurément, si ce commentaire se produisait aujourd’hui sous un nom entièrement inconnu, les lecteurs ne s’écrieraient pas de prime abord : Voilà le sceau d’un des premiers talents du siècle dernier. Il faut qu’en pareil cas, comme dans toutes choses, l’esprit soit un peu préparé d’avance. Hélas ! qui pourrait répondre que si les admirables élégies, elles-mêmes, n’avaient pas porté en quelque sorte, à leur apparition, la garantie d’un autre grand écrivain, déjà populaire, elles eussent été appréciées, du moins aussitôt, à leur véritable valeur ?

Mais, averti qu’on tient dans ses mains un ouvrage d’André Chénier, on éprouve un bonheur infini en retrouvant à chaque page le cachet de cette belle individualité. C’est là le mot consacré aujourd’hui, madame ; et je confesse que, malgré l’esprit d’opposition classique, naturel à tout ce qui n’est plus jeune, c’est un mot que j’ai tout particulièrement adopté. J’aime passionnément, en effet, vous le savez, à suivre dans un écrit quelconque les traces de tout ce qui constitue l’existence morale de celui dont il est comme une sorte d’émanation. J’aime à y rechercher les qualités qui honorèrent son cœur ou son esprit, les passions qui marquèrent sa jeunesse, enfin jusqu’aux défauts que son temps lui reprocha. J’aime, en un mot, à retrouver l’auteur dans son ouvrage ; aussi, à moins de circonstances toutes spéciales, je n’ai jamais guère compris l’anonyme dans ce qui est uniquement