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POÉSIES.

Et déjà devant lui les campagnes se peignent
Du safran que le jour apporte de la mer[1].

L’aurore d’une main, en sortant de ses portes,
Tient un vase de fleurs languissantes et mortes,
Elle verse de l’autre une cruche de pleurs ;
Et d’un voile tissu de vapeur et d’orage[2]
Couvrant ses cheveux d’or, découvre en son visage
Tout ce qu’une ame sent de cruelles douleurs.

Le soleil, qui dédaigne une telle carrière,
Puisqu’il faut qu’il déloge, éloigne sa barrière ;
Mais comme un criminel qui chemine au trépas,
Montrant que dans le cœur ce voyage le fâche,
Il marche lentement, et désire qu’on sache
Que, si ce n’étoit force, il ne le feroit pas.

Ses yeux par un dépit en ce monde regardent,
Ses chevaux tantôt vont, et tantôt se retardent,
Eux-mêmes ignorants de la course qu’ils font[3] ;
Sa lumière pâlit, sa couronne se cache ;

  1. Il est fâcheux que l’impossibilité d’employer ce mot de safran nous force de renoncer à une image agréable et que les anciens aimaient. A. Chénier.
  2. Ce quatrième vers est un des plus poétiques et des plus heureux qu’il y ait dans notre langue et dans aucune langue. A. Chénier.
  3. Expression latine dont notre langue a été enrichie par l’usage heureux qu’en a fait Despréaux :
    « Mais sans cesse ignorants de nos propres besoins. »
    Corneille a dit :
    « Savante à ses dépens de ce qu’il savait faire. »
    et c’est légèrement que M. de Voltaire l’en a repris. A. Chénier.