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Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/190

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buffle, furent jetés près d’un arbre, à une certaine distance des brasiers, tandis qu’on laissa le Canadien s’asseoir, gardé par deux sauvages, à l’un des feux. Le reste des Indiens formait cercle autour de l’autre brasier plus grand. Le temps passait lentement. Les chasseurs s’attendaient à tout instant à être massacrés ; les lanières dont ils étaient liés, leur causaient des douleurs insupportables, tellement elles avaient été serrées. Le Canadien avait tâché d’engager la conversation avec ses gardes, dans l’espoir de les corrompre et qu’ils le laisseraient aller, mais il ne put s’en faire comprendre.

Vers minuit les Indiens, autour du grand feu, raient soudainement mis en émoi, par l’irruption de plusieurs grosses antilopes qui bondirent à la file, à travers le milieu du brasier. Ces animaux s’étaient frayé passage à travers une portion de la muraille de boue qui les enfermait, et, fous de rage et d’effroi, s’étaient dirigés vers la lumière du feu, comme le font les insectes de nuit. Il semblait que les Saonis n’avaient jamais entendu parler d’un acte pareil de ces animaux, ordinairement timides. Les Indiens furent terrifiés par ce qui leur arrivait ; leur alarme se convertit en désarroi complet quand tout le troupeau capturé vint sur eux, se précipitant et bondissant, une minute ou deux après l’évasion des premières antilopes. Nous chasseurs nous décrivirent ce qui se passa alors comme une des scènes les plus étranges du monde. Les antilopes étaient évidemment affolées ; la vélocité, l’impétuosité avec lesquelles elles volèrent, plutôt que bondirent, à travers les flammes et parmi les sauvages épouvantés, présen-