Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/202

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sèrent de conduire tout le monde à nos bateaux, et de prouver leur véracité.

L’irruption soudaine des sauvages semble avoir été le résultat de leur curiosité et de leur incrédulité. Car ils ne nous firent pas le moindre mal et nous rendirent la pirogue dès que nous leur dîmes qu’on leur laisserait voir le vieux Tobie. Ce dernier prit la chose comme une excellente plaisanterie et alla tout de suite à terre, in naturalibus, pour que les sauvages pussent observer toute l’étendue de son corps.

Leur étonnement et leur satisfaction furent profondes et complètes. D’abord ils n’en crurent pas leurs yeux ; ils crachaient sur leurs doigts et frottaient la peau du nègre pour voir si elle n’était pas peinte. La laine de sa tête leur arracha des clameurs répétées et ses jambes tortues furent l’objet d’une admiration infinie. Une gigue de notre affreux ami, porta les choses à leur comble. La stupéfaction des sauvages était arrivée à son dernier degré. Leur contentement ne pouvait aller plus loin. Si notre ami avait possédé la moindre ambition, il aurait pu faire alors fortune et monter sur le trône des Assiniboïns sous le nom de Tobie I.

Cet incident nous retint jusqu’à fort avant dans la journée. Après avoir échangé quelques civilités avec les sauvages et leur avoir fait quelques cadeaux, nous acceptâmes l’aide de six d’entre eux, qui ramèrent à notre bord durant cinq milles. C’était là un secours qui fut le bienvenu et pour lequel nous ne manquâmes pas de remercier notre vieux Tobie.

Nous n’avons fait aujourd’hui que 12 milles. Nous