Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/418

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raisonner ; mais dans l’intensité de son sauvage désir de vivre, — de vivre, — de rien que vivre, — toute consolation et toutes raisons eussent été le comble de la folie. Cependant, jusqu’au dernier moment, au milieu des tortures et des convulsions de son sauvage esprit, l’apparente placidité de sa conduite ne se démentit pas. Sa voix devenait plus douce, — devenait plus profonde, — mais je ne voulais pas m’appesantir sur le sens bizarre de ces mots prononcés avec tant de calme. Ma cervelle tournait quand je prêtais l’oreille en extase à cette mélodie surhumaine, à ces ambitions et à ces aspirations que l’humanité n’avait jamais connues jusqu’alors.

Qu’elle m’aimât, je n’en pouvais douter, et il m’était aisé de deviner que, dans une poitrine telle que la sienne, l’amour ne devait pas régner comme une passion ordinaire. Mais, dans la mort seulement, je compris toute la force et toute l’étendue de son affection. Pendant de longues heures, ma main dans la sienne, elle épanchait devant moi le trop-plein d’un cœur dont le dévouement plus que passionné montait jusqu’à l’idolâtrie. Comment avais-je mérité la béatitude d’entendre de pareils aveux ? Comment avais-je mérité d’être damné à ce point que ma bien-aimée me fût enlevée à l’heure où elle m’en octroyait la jouissance ? Mais il ne m’est pas permis de m’étendre sur ce sujet. Je dirai seulement que dans l’abandonnement plus que féminin de Ligeia à un amour, hélas ! non mérité, accordé tout à fait gratuitement, je reconnus enfin le