Page:Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1888.djvu/108

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Par les lacs qui ainsi débordent de leurs eaux solitaires, solitaires et mortes — leurs eaux tristes, tristes et glacées de la neige des lys inclinés — par les montagnes — par les bois gris — par le marécage où s’installent le crapaud et le lézard — par les flaques et étangs lugubres — où habitent les Goules — en chaque lieu le plus décrié — dans chaque coin le plus mélancolique : partout le voyageur rencontre effarées les Réminiscences drapées du Passé — formes ensevelies qui reculent et soupirent quand elles passent près du promeneur, formes au plis blancs d’amis rendus il y a longtemps, par l’agonie, à la Terre — et au Ciel.

Pour le cœur dont les maux sont Légion, c’est une pacifique et calmante Région. — Pour l’esprit qui marche parmi l’ombre, c’est — oh ! c’est Eldorado ! Mais le voyageur, lui, qui voyage au travers, ne peut — n’ose pas la considérer ouvertement. Jamais ses mystères ne s’exposent au faible œil humain qui ne s’est pas fermé ; ainsi le veut son Roi, qui a défendu d’y lever la paupière frangée ; et aussi l’âme en peine qui y passe, ne la contemple qu’à travers des glaces obscurcies.