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Page:Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1888.djvu/155

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Vastitude ! âge ! et mémoire de jadis ! silence ! et désolation ! et nuit sombre ! Je vous sens maintenant — je vous sens dans ma force. — O sortilèges plus sûrs que jamais roi de Judée n’en enseigna dans les jardins de Gethsemani ! O charmes plus valides que la Chaldée ravie n’en soutira jamais aux tranquilles étoiles.

Ici où tomba un héros, tombe une colonne ! Ici où l’aigle théâtral éclatait d’or, la brune chauve-souris fait sa veille de minuit. Ici ! où des dames de Rome agitaient au vent leur chevelure dorée, maintenant s’agite le chardon et l’ajonc. Ici ! où le monarque s’inclinait sur un trône en or, glisse, comme un spectre, vers sa demeure de marbre, par la faible lumière des cornes de la lune éclairé, le silencieux et vil lézard des pierres.

Mais reste ? Ces murs — ces arcades de lierre vêtues — ces plinthes croulantes — ces fûts tristes et noircis — ces entablements vagues — ces frises émiettées — ces corniches en morceaux — ce naufrage — cette ruine — ces pierres, hélas ! ces pierres grises, est-ce là, de ce qui fut le fameux et colossal, tout ce qu’à la destinée et à moi ont laissé les corrosives Heures.