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Page:Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1888.djvu/167

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de ne l’avoir point asservie et forcée à l’admiration et enchaînée à son triomphe. Reproche étrange et pour la première fois peut-être formulé par les bouches humaines ! pas dénué de sens. Le devoir est de vaincre, et un inéluctable despotisme participe du génie. Cette force, Poe l’avait (j’en appelle à l’admiration fran- çaise de ces temps qu’il a fascinée). Son tort fut simple- ment de n’être placé dans le milieu exact, là où l’on exige du poëte qu’il impose sa puissance. L’homme, qu’il fut, souffrit toujours de cette erreur du sort ; et qui sait, — aux deux seules phases extrêmes de sa vie quand il trempa les lèvres dans une coupe mauvaise, vers le commencement et la fin, — si l’alcoolique de naissance qui tout le temps qu’il vécut ou accomplit son œuvre, si noblement se garda d’un vice héréditaire et fatal, ne l’accueillit sur le tard, pour combattre à jamais avec l’illusion latente dans le breuvage le vide d’une destinée extraordinaire niée par les circonstances ! Comme de bonne heure, victime glorieuse volontaire, il avait demandé à cette même drogue un mal que ce peut être le devoir, pour un homme, de contracter, et sa chance unique d’arriver à certaines altitudes spiri- tuelles prescrites mais que la nation dont il est, s’avoue incapable d’atteindre par de légitimes moyens.