Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/320

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accru par la pensée que j’errais seul, que je contemplais seul. Quel est le Français bavard qui, faisant allusion à l’ouvrage bien connu de Zimmermann, a dit : La solitude est une belle chose, mais il faut quelqu’un pour vous dire que la solitude est une belle chose ? Comme épigramme, c’est parfait ; mais, il faut ! Cette nécessité est une chose qui n’existe pas.

Ce fut dans un de mes voyages solitaires, dans une région fort lointaine, — montagnes compliquées par des montagnes, méandres de rivières mélancoliques, lacs sombres et dormants, — que je tombai sur certain petit ruisseau avec une île. J’y arrivai soudainement dans un mois de juin, le mois du feuillage, et je me jetai sur le sol, sous les branches d’un arbuste odorant qui m’était inconnu, de manière à m’assoupir en contemplant le tableau. Je sentis que je ne pourrais le bien voir que de cette façon, — tant il portait le caractère d’une vision.

De tous côtés, — excepté à l’ouest, où le soleil allait bientôt plonger, — s’élevaient les murailles verdoyantes de la forêt. La petite rivière, qui faisait un brusque coude, et ainsi se dérobait soudainement à la vue, semblait ne pouvoir pas s’échapper de sa prison ; mais on eût dit qu’elle était absorbée vers l’est par la verdure profonde des arbres ; — et, du côté opposé (cela m’apparaissait ainsi, couché comme je l’étais, et les yeux au ciel), tombait dans la vallée, sans intermittence et sans bruit, une splendide cascade, or et pourpre, vomie par les fontaines occidentales du ciel.

À peu près au centre de l’étroite perspective qu’embrassait mon regard visionnaire, une petite île circulaire, magnifiquement verdoyante, reposait sur le sein du ruisseau.

La rive et son image étaient si bien fondues
Que le tout semblait suspendu dans l’air.

L’eau transparente jouait si bien le miroir qu’il était