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Sa mère qui portait toujours des robes claires, quand l’enfant la vit en deuil de cette mère-grand, elle fut toute chagrine de ce noir. Elle était toute changée sa maman.

Et à une vieille parente aux cheveux blancs sous un bonnet de tulle noir : « Pourquoi tu mets pas tes cheveux en deuil aussi ? »

Sur un genou qui remuait, à cheval, elle criait : Hue, guigui ! C’étaient des colères et des rires. Entre les deux, elle étouffait.

La lune lui semblait marcher avec elle. Devant la porte, un soir, dans un seau d’eau, elle crut la prendre. Mais l’eau ballottait, et la lune se cassait.

De sa ménagerie, les animaux inconnus devenaient les bêtes qu’elle voyait au village. Ceux dont la forme lui déplaisait étaient mis de côté. Aux autres, elle donnait le nom des bêtes préférées.

Elle s’irrite contre les rebondissements de son martelet de bois. Ne devait-il pas aller comme sa main voulait ?

Et la scie circulaire était terrible avec son mouvement, qui sifflait comme la bise. Ça faisait fuir Licette.

Elle se voit courir, à en perdre le souffle pour que son ombre attachée à ses pieds la quitte. Elle a beau virer, revirer, l’ombre ne s’en va pas. Des fois, c’est un jeu, plus souvent une guerre.

Et la Grise ! Quand la petite entrait à l’écurie, la jument relevait les narines, serrait les oreilles, elle venait manger dans son tablier. Et Licette secouait les grelots au petit bruit fin, et elle aimait tant à être hissée sur son dos, pour se laisser couler de dessus le poil chaud, doux. Elle aurait coulé ainsi, elle ne sait pas où.

Au matin, ses yeux, que picote un reste de sable de l’abbé Gravier, s’éblouissent de la tapisserie rouge, ils sont occupés, à la hauteur de sa couchette, dans la bordure au-dessus de la boiserie, aux tortillons gris qui se suivent. L’enfant y voit des escargots qui se traînent.

Quand la mère La Ramée venait rendre des bas de laine qu’on lui avait donnés à faire, elle disait tout sérieusement, et le menton galoche et la tuyaute du bonnet sans empois branlottaient, comme ça à propos des crinolines, à propos des faiseurs d’embarras, les yeux et le doigt levés :

Les mouches qui sont au plafond,
Qui se crèvent de rire, tra deri dera…
Les vaches qui portent des tabliers,
Les cochons qui mettent des manchettes,
Les poules qui font la cuisine…