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Dans son temps, on n’était pas comme çà… Dans son temps, les filles ne pensaient qu’aux babioles… Dans son temps… Si bien que Licette la voyait aussi vieille que le monde, et tant proprette qu’elle lui représentait les fées.


Debout devant la lentille « dorée » de l’horloge, elle regarde sa tête bouffie, en soleil. Et, comme cette belle image que la fillette est devenue oscille, elle se prend à suivre le mouvement du balancier ; sa figure écarquillée la ravit. Les doigts ne désempoignent pas le cabinet.

Cette horloge est dans la cuisine, la cuisine en Franche-Comté la pièce de luxe. Là Licette a choisi de muser, dans un contentement pas lassé, car elle s’y attache aux choses, pour elle vivantes…, au rebord de la grande, grande cheminée garnie de pots rayés blanc et brun qui s’échelonnent, à la bassinoire à fleurs découpées, accrochée sans qu’on s’en serve trop, mais dont la fonction est de reluire, aux seaux de chêne cerclés de cuivre sur l’étagère avec leurs bassins dedans qui nagent. Et les poissons de Maclu, dont les yeux roulent sous son doigt, les brochets, où inutilement elle cherche les instruments de la Passion, s’ils sont pendus par de l’osier, elle les secoue, riant quand ils ondulent ; Diou-Diou sur ses pattes de derrière, la queue en cerceau, sa frimousse allant des poissons à la gamine, de la gamine aux poissons. Ce qui l’intrigue, mais sans qu’elle demande, c’est le bouillonnement de la marmite à soupe. Quand la Fanie aux cheveux rouges d’un coin de son tablier vite tourne l’anse du couvercle et que le tintamarre cesse dans la fuite de la vapeur, la vilaine servante a donc une accointance avec la marmite pour ça ? Le plus souvent, la fillette est assise sur le banc de chêne sans dossier le long de la table ; sans y penser, elle tourmente son peigne, ou elle se chatouille une joue de sa natte dénouée, ou de l’index elle fait claquer la lèvre du bas contre l’autre pour contrefaire le glouglou des bouteilles, et, en un insensible penchement mutin de la tête, elle bat de ses jambes ballantes une mesure de ses imaginations, dans la cuisine au jour de soir. Et comme sur cette table lisse, récurée, elle commencera ses gribouillages, impossible dans la suite d’obtenir d’elle, ailleurs que là, un peu de bâtons.

Toute la maison lui est bonne pour ses reposoirs. Encombrante avec des bûches, des cartons, des branches, elle construit ses gradins, elle ne veut que la verdure des herbes, des foyards, des sapins, des fougères.


Le soir de la messe de minuit, elle met ses souliers dans la cheminée. Elle les a délacés de tout le lacet. Et, en se couchant, elle s’est fait promettre qu’on la réveillerait pour les matines, le réveillon avec le riz sucré, les brioches. Les