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LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS

Pendant que Millerand est dans mon cabinet, deux explosions à intervalles de dix ou quinze minutes. Renseignements pris, un obus est tombé sur Saint-Gervais. Les Allemands ont rectifié leur tir, qui ces jours-ci n’atteignait plus Paris. Je pars pour Saint-Gervais. Spectacle épouvantable. La voûte de la grande nef est effondrée en partie. Les pierres sont tombées en masse sur une nombreuse assemblée de fidèles pendant une audition des chanteurs de Saint-Gervais. Les morts et les blessés sont au nombre de plusieurs dizaines. De malheureux décapités sont restés assis sur des sièges. Clemenceau est déjà là. Comme je lui ai écrit qu’il ne fallait à aucun prix quitter Paris, il me dit tout à coup que, maintenant, nous sommes d’accord.

Quand je m’avance dans l’église, on retire des cadavres mutilés et déchiquetés. Peu à peu, le nombre des victimes paraît s’élever autour de moi. Le curé, ancien combattant de 1870, est indigné contre les Allemands qui assassinent des femmes, le vendredi saint, dans les églises. Il reproche au Vatican de ne pas condamner publiquement de tels crimes.

Pams vient à son tour. Avec lui, je me rends à la Morgue, où sont déjà entassés, couverts de plâtre, morcelés, hideux, des cadavres, presque tous des femmes et des jeunes filles.

De là à l’Hôtel-Dieu, où ont été amenés dix-neuf autres cadavres et où sont soignés, avec du désordre et de l’encombrement, beaucoup de blessés atteints à la tête par des moellons. Plusieurs jeunes femmes et jeunes filles à l’agonie. Une d’elles, que ses parents croyaient légèrement blessée, est déjà dans le coma et une infirmière le dit un peu brutalement devant le père désolé.

Un Américain, qu’on vient d’amputer de la jambe, parle avec un sang-froid extraordinaire