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LE DROIT DE GRÂCE


Samedi 6 avril.

Comité de guerre. Clemenceau n’est pas là. On discute en son absence des questions dont dépend le sort de la guerre. Il est parti pour le front ; il est constamment au milieu des troupes. Trop visiblement, il gêne et importune les chefs. Mais les journaux vantent son courage et lui reprochent même sa témérité. Certaines feuilles prétendent qu’il est parti aujourd’hui après le Comité de Guerre, mais en réalité, il n’est pas venu au Comité.

En Comité, Leygues et Loucheur annoncent qu’ils mettent en fabrication au Creusot et à Rueil, des canons de 240, de 380 devant tirer à 70, 100 et même 150 kilomètres. Après la réunion, Ignace vient m’apporter le dossier de grâce de Bolo. Il n’y a pas encore de recours, mais, à ma prière, les pièces ont été préparées d’avance pour me permettre d’étudier la demande. Clemenceau consent naturellement au rejet et il sait par moi que je n’envisage pas la possibilité d’une grâce. Il a profité de l’occasion pour faire supprimer par Ignace, qui me le confie, la formule traditionnelle qui termine les rapports, même lorsqu’ils concluent à laisser la justice suivre son cours : « Toutefois, pour le cas où le président voudrait user de son droit de grâce, je joins au premier rapport un décret en blanc. » Déjà, comme je l’ai dit, depuis plusieurs semaines, Clemenceau ne signe plus les décrets en blanc. Cette fois, il est allé plus loin et a même fait rayer la formule. Le dernier vestige du droit présidentiel a donc disparu juste au moment où j’avais le moins envie d’en user. Ignace me dit que Bouchardon considère que l’instruction de l’affaire Caillaux a donné des résultats positifs ; mais il ajoute qu’il croit toujours que l’affaire ayant, malgré tout, un caractère politique, devra être renvoyée devant la Haute-Cour.