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LA VICTOIRE

Londres, pour déjouer la tentative de Pershing.

Clemenceau revient vers quatre heures pour me dire : « Je ne vous apporte pas une bonne nouvelle. Les Allemands prétendent dans leur radio qu’ils ont fait, en prenant le mont Kemmel, 6 500 prisonniers, la plupart français. Est-ce la faute de Plumer ou celle de Mitry ? Je ne sais ; en tout cas, c’est mauvais. » Il continue : « Milner arrive à Beauvais et doit voir Foch. Je ne veux pas les laisser seuls. Je partirai ce soir ou demain, d’autant plus qu’il faut que je cause avec Foch de la question des effectifs. — Elle devient, en effet, dis-je, très angoissante. Nos divisions sont maintenant toutes ou presque toutes engagées ; nous supportons l’effort principal et nous nous épuisons peu à peu ; il faut que l’empire britannique se décide à faire un effort plus grand. — Oui, mais ce qui n’est pas moins préoccupant, c’est que sur 120 000 hommes qui doivent nous arriver d’Amérique tous les mois, il n’y aurait guère que 40 000 combattants, dont 20 000 pour les Anglais et 20 000 pour nous. »

Dans l’après-midi, je vais voir à l’ambassade d’Angleterre le pauvre Bertie, alité. On le croit atteint d’un cancer. Je suis monté par un petit ascenseur au second étage où se trouve sa chambre à coucher. Il était là, bien peigné, bien frais, dans un joli petit lit blanc, très maigri, mais le teint encore rose ; il m’a parlé de Haig, qu’il croit très ébranlé, de Lloyd George, dont il considère le départ comme possible, d’Asquith dont il redoute le retour à cause de son entourage pacifiste, de l’Irlande qui, dit-il, voudrait sa pleine indépendance et qui constitue un grand danger pour l’avenir de l’Angleterre.


Samedi 27 avril.

Clemenceau est parti ce matin de bonne heure