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LA VICTOIRE

valier est malade, mais que, du reste, Clemenceau exige son départ parce que Chevalier et lui sont originaires du même village de Vendée et qu’il y a entre eux je ne sais quelle ancienne querelle. Sans m’avoir pressenti davantage, Pichon propose la reconnaissance de fait de l’indépendance esthonienne, demandée par des Esthoniens venus en France et déjà accordée par Balfour. Je fais remarquer qu’il est peut-être singulier de reconnaître un État qui n’existe pas encore et cela à la demande de délégués qui ne représentent pas le gouvernement de leur pays ; que, du reste, nous sommes en train de morceler la Russie sans avoir une politique russe ; que si nous sommes forcés de suivre l’Angleterre, il faudrait, au moins, profiter de l’occasion pour demander à celle-ci de ne pas faire cavalier seul dans des questions aussi importantes. Dans tous les cas, nous devons réserver la contribution de l’Esthonie aux emprunts russes. Pichon accepte ce dernier point et reconnaît la justesse de mes observations. Mais il croit, avec raison d’ailleurs, difficile de ne pas faire ce qu’a fait l’Angleterre. L’empereur Guillaume s’appuie sur les barons allemands d’Esthonie, qui représentent à peine cinq pour cent de la population ; il est utile de ménager le reste des habitants.

Vers trois heures, Clemenceau arrive avec Leygues. Il me communique un télégramme de Balfour à Derby, que ce dernier vient de lui remettre. Balfour dit que pour régler tout dissentiment entre l’amirauté italienne et la nôtre, et pour parer au danger que présente dans la Méditerranée l’utilisation de la flotte russe de la mer Noire par l’Allemagne, le gouvernement anglais propose de donner le commandement des flottes alliées à un amiral anglais, qui serait Jellicoë. La note est captieuse. Elle indique que les Italiens refu-