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LE BOMBARDEMENT CONTINUE

Je vais à l’hôpital de la Pitié où la mère a été transportée. Elle est à l’agonie. Rue Saint-Jacques, l’obus est tombé en pleine chaussée devant la porte de Louis-le-Grand. Les murs et les vitres de mon vieux lycée ont été atteints, mais il n’y a heureusement ni morts ni blessés. Je serre la main du proviseur et de quelques professeurs et je me rappelle qu’il y a quarante ans, j’étais ici avec des amis qui, comme moi, sont loin maintenant de leur jeunesse. Rue Linné, dégâts beaucoup plus considérables. L’obus est tombé sur le pavé, a creusé un grand trou et les éclats ont jailli sur toutes les maisons voisines. Deux femmes tuées, l’une dans un tramway dont toutes les vitres ont été brisées. Beaucoup de blessés, dont un grièvement : c’est un pauvre permissionnaire. Les victimes sont transportées à Cochin. Un chauffeur et un charbonnier envoyés à l’Hôtel-Dieu. Je vais les y voir. Le charbonnier, les mains noires et crevassées, répète drôlement : « C’est l’obus qui m’a sali. J’avais les mains propres ; je n’ai plus de charbon dans ma boutique. »

Je rentre à l’Élysée pour le Comité de guerre. Clemenceau que je n’ai pas vu depuis plusieurs jours, me dit après la séance, dans un court aparté, qu’il est allé hier voir Foch. « Je craignais, m’explique-t-il, qu’il ne devançât l’offensive allemande par une offensive alliée qui aurait coûté très cher, mais la question s’est tranchée elle-même, puisque nous avons été attaqués ce matin. »

« Mais, dis-je, si Foch estime que tôt ou tard une offensive est nécessaire de notre part ?

— Quand nous aurons repoussé l’offensive actuelle, nous pourrons dégager Reims. Je verrai Foch pour connaître son sentiment sur ces immixtions dont ni le gouvernement, ni le comité de guerre ne sont informés. »

Après Andrieux, Péricat a été arrêté dans la