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LA VICTOIRE


Mercredi 29 mai.

À la première heure du matin, deux détonations. Les points de chute paraissent assez proches. Renseignements pris, les obus sont tombés rue du Bac et rue Barbet-de-Jouy, où une concierge a été blessée. Elle a été transportée à l’hôpital Laënnec, où je vais la voir à huit heures. C’est une Espagnole exubérante et loquace. Elle raconte qu’elle était en train de faire sa prière et elle demandait à Dieu d’épargner sa vie en cas de bombardement. « Eh ! bien, vous voyez, lui dis-je, Dieu vous a entendue, puisque vous n’êtes que blessée. »

De là, je vais au n°97 de la rue du Bac. L’obus est tombé dans la cour et a détruit le sixième étage de la maison. Il n’y a pas de victimes. La concierge, très calme, me dit que tout le monde est à la campagne. Tout le monde, sauf cependant mon ami M. Grosdidier, sénateur de la Meuse, qui demeure dans le bâtiment du fond au rez-de chaussée (ce que je ne me rappelais pas et que m’indique Guichard de la Préfecture de police). Je fais appeler Grosdidier, qui vient souriant et joyeux comme à l’ordinaire. Il me dit avoir vu Dalimier, qui l’a justement engagé hier à venir me voir.

Heures d’angoisse. La situation devient grave entre l’Aisne et Château-Thierry. Les Allemands s’emparant de Soissons, parviennent jusqu’à Fère-en-Tardenois et progressent dans la vallée de l’Ardre.

Pichon envoie Bergson en Amérique pour traiter l’affaire japonaise. Il croit que les résistances de Wilson tiennent surtout aux préjugés des Américains de l’Ouest contre les Japonais et à l’idée que le président se fait de la souveraineté russe. Il ne voudrait pas appuyer une action japonaise qui ne serait pas réclamée par la Russie elle-même. Mais où est la Russie ?