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LA VICTOIRE

disais à la fin de mars : « Je ne quitterai pas Paris. »

Il me répond : « Je ne veux pas jouer le sort de la France dans une bataille. Il faut durer et attendre les Américains.

— Oui, dis-je, mais en attendant nous ne sommes pas maîtres de refuser la bataille qui nous est livrée et là où elle s’engage. Il faut donc, une fois de plus, défendre Paris devant Paris.

— Nous sommes d’accord, mais, quoi que nous fassions, nos réserves ne peuvent arriver plus vite ; toutes les routes sont encombrées ; les chemins de fer peuvent être coupés ; il me paraît certain que les Allemands s’approcheront assez de Paris pour le bombarder.

— Ce ne serait pas une raison pour partir.

— Je ne tranche pas encore la question. Du reste, j’ai réfléchi. Je ne prendrai pas de décret de clôture ; je ne renverrai pas les Chambres. Je ne ferai rien que d’accord avec elles ; cela vaudra mieux. Il faut s’accommoder du régime. Ça ne va pas sans difficulté. Mais c’est une garantie de paix publique.

— D’ailleurs, dis-je, il n’y a pas de budget et les Chambres ne le voteront pas. Un décret de clôture nous ferait donc entrer dans la voie révolutionnaire.

— C’est entendu, je garderai les Chambres. Mais il faut s’attendre à être bombardé à Paris. La question qui se pose est donc bien simple : paix de défaite ou continuation de la guerre coûte que coûte, jusqu’à l’arrivée totale des Américains. C’est en ces termes que je poserai la question aux Chambres. Mon parti est pris. »

Puis, brusquement : « Voici ce que vous me valez. » Et il me montre le déchiffrement d’un télégramme de Bonin à son gouvernement disant que Clemenceau fatigué songerait à s’adjoindre