Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 10, 1933.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
LA VICTOIRE

semble sur la mer. Loucheur, que j’ai interrogé, me dit qu’il ne peut déménager les usines parisiennes : il faudrait 200 000 hommes. Mais les autres usines suffiront pour continuer la guerre indéfiniment. »

Puis, avec une réelle émotion, qui donne malheureusement à sa résolution une apparence plus sentimentale que raisonnée, il continue : « Si j’étais mort avant cette guerre, je serais mort dans la conviction que mon pays était perdu. Les vices du régime parlementaire, les intrigues, les défaillances, le caractère, tout me faisait croire à notre décadence. Mais cette guerre m’a montré, comme elle a montré au monde entier, une France si belle, si admirable, que maintenant j’ai pleine confiance. Nous serions seuls que nous serions évidemment écrasés par le nombre. Nous laisserions alors la réputation d’une Athènes brillante qui aurait succombé sous la fatalité. Mais nous avons des alliés, nous pouvons vivre et nous vivrons. Et si, par malheur, il fallait mourir, je veux, du moins, que mon pays meure en luttant pour son indépendance et qu’il meure en beauté. »

Deschanel et moi, nous donnons à Clemenceau l’assurance que nous partageons sa confiance et que nous sommes comme lui décidés à poursuivre la lutte en toute hypothèse.

« Mais, dis-je, il me semble bien que si l’on est décidé à empêcher l’investissement de Paris, on le peut, à moins de catastrophe imprévue. On peut, au besoin, raccourcir le front, en sacrifier certaines parties et défendre de nouveau Paris comme à la Marne. Paris entre les mains de l’ennemi, ce serait pour les Allemands un moyen de pression formidable sur l’opinion française. Ils pourraient installer ici un gouvernement de soviets avec lequel ils feraient la paix. Pour moi, je crois que, si Paris était bombardé et même menacé,