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LA VICTOIRE

a de graves inconvénients. Clemenceau, très impulsif, forcément absorbé par d’autres soins, connaissant mal beaucoup de grandes questions et pas du tout les dossiers, se fait des opinions rapides et irréfléchies, comme il lui est arrivé toute sa vie. Pichon, qui tremble devant lui, n’ose pas émettre un avis personnel. Les décisions sont prises, en réalité, par Clemenceau seul sans que le gouvernement soit consulté.

Noulens, chargé de mission en Russie, s’est établi à Helsingfors. Il demande des instructions. Pichon, qui n’a pas encore examiné cette question avec Clemenceau, n’indique pas ce qu’il va répondre. J’attire l’attention du Conseil et la sienne sur la nécessité d’une réponse rapide et précise. « Quelles instructions, dis-je, allez-vous lui donner ? » — Silence de Pichon. « C’est là, ajouté-je, une question de gouvernement. Noulens a quitté Pétrograd parce qu’il croyait que les Allemands arriveraient avant la signature de la paix. Mais voici malheureusement la paix signée. Ce ne sont plus, par conséquent, les Allemands qui chassent notre ambassadeur. Son départ va signifier rupture complète avec la Russie. Le Conseil pense-t-il qu’en l’état actuel des choses nous ne devons plus avoir de représentant en Russie et qu’il soit prudent d’y laisser entièrement le champ libre à l’Allemagne ? »

Leygues, Loucheur, Klotz. — Non, non !

— Sans doute, continué-je, il faut nous mettre d’accord avec les Alliés. Mais nous ne pouvons pas laisser Noulens sans instructions.

Pichon. — Eh ! bien, nous allons consulter nos Alliés.

— Ce n’est pas assez, dis-je, de les consulter ; il faut leur donner notre avis.

Pichon. — On pourrait rappeler les ambassadeurs et laisser les chargés d’affaires.