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LA VICTOIRE

militaire a publié deux communiqués contradictoires : avions et bombardement.


Le communiqué allemand est naturellement triomphant : 25 000 prisonniers, 250 canons capturés, nombreux villages repris, y compris Ham ; la Somme traversée à Ham.

À sept heures du soir, le commandant Challe m’annonce que la situation est devenue un peu moins mauvaise ; mais la journée critique sera celle de demain. Les divisions françaises, arrivées entre Guiscard et Nesles, n’ont pas encore d’artillerie lourde. On évacue les habitants le plus possible. Déjà les routes sont couvertes de pauvres gens qui s’enfuient. Compiègne a été fortement bombardé hier et beaucoup d’habitants sont partis.


Dimanche 24 mars.

La fin de l’alerte est sonnée vers trois heures. À six heures, un nouvel obus tombe sur Pantin.

Clemenceau vient me voir vers quatre heures et demie. Herbillon est allé le trouver de la part de Pétain et l’a prié de se rendre ce soir à Compiègne. Clemenceau croit maintenant la situation très grave. Il s’attend à ce que nos divisions échelonnées entre Guiscard et Chauny soient coupées de l’armée anglaise, qui se replie trop vite et trop au Nord, sans garder le contact. Clemenceau voit déjà notre bassin minier envahi, notre armée tournée, Paris menacé. Il me dit d’un ton grave : « Il faudra envisager le départ du gouvernement. Mais nous ne partirons pas comme en 1914. Vous partirez avant moi en auto. Je partirai à la dernière heure en avion. Nous laisserons un gouvernement à Paris. Nous n’irons pas plus loin que Tours. — Prenons le temps de réfléchir à tout cela, lui répliqué-je. Je ne suis pas d’humeur à partir. — Oui, mais vous ne pouvez pas être pris par les