Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/27

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seront alliées, j’espère bien qu’elles deviendront aussi toutes deux les alliées de la France. » Et l’habile Crétois, allant au-devant d’une objection qu’il devinait dans mon esprit, ajoutait : « Il ne faut pas juger le roi Constantin sur son malheureux toast de Potsdam. L’imagination encore enivrée des victoires grecques, il a été très flatté des compliments qui lui étaient adressés en Allemagne. Il a été surpris et circonvenu par l’Empereur. Il n’a pas su exactement ce qu’il répondait et surtout il ne s’attendait nullement à une publication. On lui a, il est vrai, soumis ensuite le texte à publier, mais il n’a pas osé se dédire et n’a pas compris le parti qu’on voulait tirer de l’incident. Je puis vous assurer qu’il n’est ni hostile à la France, ni même germanophile. Il est Grec et rien que Grec, et il se gardera bien d’aller à l’encontre de notre sentiment national. » Je donnai à M. Venizelos la courtoise assurance que la France n’avait gardé aucun mauvais souvenir des paroles prononcées par le Roi à Potsdam et qu’elle se rappelait avec gratitude sa visite à Paris. Mais, pendant que nous causions, les vers d’Homère chantaient à ma mémoire : « Au large, dans la mer vineuse, est une terre, aussi belle que riche, isolée dans les flots : c’est la terre de Crète, aux hommes innombrables, aux quatre-vingt-dix villes, dont les langues se mêlent ; côte à côte, on y voit Achéens, Kydoniens, vaillants Etéocrètes, Doriens tripartites et Pélasges divins ; parmi elles, Cnossos, grand’ville de ce roi Minos que le grand Zeus, toutes les neuf années, prenait pour confident. » Desquels de ces hommes innombrables descend M. Venizelos ? Je ne sais. Mais quand il me parle des autres îles méditerranéennes, ma pensée vole de Chio à la