Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/45

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qu’il sent bien que nous pourrions avoir à son sujet. Signé : Jules CAMBON. »

À cette dépêche est annexé le compte rendu rédigé par M. de Faramond : « Monsieur l’ambassadeur, j’ai dîné mercredi soir chez l’amiral von Pohl, chef d’Ëtat-major général de la marine allemande. Le secrétaire d’État à la marine assistait à ce dîner. Aussitôt sorti de table, l’amiral de Tirpitz s’est avancé vers ma femme et, l’ayant entraînée dans un coin du salon, il a, sans préambule, commencé une longue tirade sur les relations franco-allemandes, avec l’intention bien évidente que ses propos nous fussent répétés. L’amiral de Tirpitz, ordinairement fort calme, a parlé avec une volubilité et une exaltation dont il n’est pas coutumier. Dans ses allusions à la politique anglaise, il y avait de l’exaspération. Ma femme, qui parle l’allemand aussi bien que le français, a écouté attentivement le secrétaire d’État et ne l’a interrompu que pour faire l’observation qui a amené la réplique sur laquelle s’est terminé l’entretien. « Pourquoi, a dit l’amiral de Tirpitz, la France persiste-t-elle à nous bouder ? Il y a, je le sais, de terribles souvenirs entre nos deux pays. Mais, après tout, le mal que nous vous avons fait il y a quarante-trois ans est bien peu de chose en comparaison des défaites et des humiliations que, pendant cent cinquante ans, vous nous avez infligées. Pourquoi la France et l’Allemagne ne se considéreraient-elles pas comme quittes et ne se tendraient-elles pas la main ? Vous m’objecterez : l’Alsace-Lorraine. Oui, tout est là. Mais croyez-vous qu’il ne soit pas aussi pénible pour nous d’être dans ce pays que pour vous de l’avoir perdu ? Trouvez-vous notre situation enviable en Alsace-Lorraine ?