Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/154

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L’officier croit qu’ils sont dès maintenant en mesure de résister. L’artillerie lourde des Allemands a fait de grands ravages ; leur tir était remarquablement réglé. Cette fois enfin, on ne se paie plus de mots ; on se met courageusement en face de la réalité.

À quatre heures de l’après-midi, le bureau télégraphique de l’Élysée me prévient qu’on téléphone de Lunéville : « Les obus tombent sur la ville et y rendent notre position intenable. Les employés du télégraphe évacuent les bureaux et détruisent les appareils. » Une demi-heure après, c’est de Nancy que nous arrive une communication téléphonique, plus grave encore et plus singulière : « Par ordre supérieur, le personnel quitte Nancy et part pour Paris. » Qui a donné cet ordre supérieur ? Que signifie ce départ ? L’armée de Castelnau est-elle donc en déroute ? Et, de toutes façon, pourquoi des fonctionnaires abandonnent-ils leur poste, sans y être invités ni même autorisés par le gouvernement ? J’envoie le général Duparge au ministère de la Guerre. On n’y sait rien, sinon que Nancy ne répond plus au téléphone. Du ministère et de l’Élysée, nous appelons et rappelons à plusieurs reprises. Vainement. C’est le silence. C’est la mort. Une demi-heurc s’écoule, qui nous parait un siècle. Nancy donne enfin signe de vie. Un inspecteur qui y est resté avec un personnel réduit, m’explique à moi-même qu’il lui a été ordonné d’évacuer les locaux du télégraphe et de détruire les appareils, qu’il est demeuré en arrière pour assurer le service jusqu’au dernier moment, qu’on entend le canon, mais que Nancy n’est pas occupé. Je lui demande si la ville est menacée. Il n’en sait rien, mais les troupes françaises sont toujours sur le Grand-Couronné.