Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/246

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vu et au su de la population dont on nous force à nous séparer, mais c’est l’administration militaire qui est maîtresse des chemins de fer et l’état de siège s’impose au président de la République comme au dernier des citoyens. Je devrai prendre docilement le train où l’on me fera monter.

Mme Poincaré m’avait adjuré de lui permettre, si le gouvernement était condamné à s’éloigner, de rester à Paris pour s’y intéresser aux œuvres de bienfaisance et pour s’y occuper des blessés avec les trois sociétés de la Croix-Rouge. Mais sur la demande pressante de Viviani, le Conseil a décidé que toutes les femmes des ministres accompagneraient leurs maris à Bordeaux. Par crainte de me singulariser ou de singulariser Mme Poincaré, j’ai dû me soumettre à la règle générale. En apprenant cette détermination, ma femme éclate en sanglots. J’ai bien fini, puisqu’il le faut, par avoir moi-même le courage de paraître lâche, mais lle, elle aurait tant souhaité qu’en la laissant à Paris, je fisse comprendre à la population que je ne partais pas tout entier… Cette consolation elle-même nous est refusée.

Encore un moteur qui ronfle sur nos têtes. Cette fois, c’est l’Élysée que survole un nouvel avion allemand. Les hommes du poste montent sur les terrasses et de là font feu sur l’appareil, qu’ils n’atteignent pas et qui s’enfuit à tire d’aile. Seuls, les oiseaux du parc sont effrayés par le bruit de la fusillade. Un petit moineau terrifié vient tout tremblant, par les fenêtres ouvertes, se réfugier dans ma « librairie », où je le sauve précipitamment des griffes de mon siamois. L’aviateur jette aux environs de la gare du Nord un message comminatoire enveloppé dans un lambeau