Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/339

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un de nos forts d’arrêt a pu tomber si vite. Là où l’ennemi se retranche en pleine campagne, nous ne parvenons pas à le déloger ; et sur les Hauts-de-Meuse, dans une position fortifiée d’avance, nous ne savons pas nous défendre une demi-journée. Les Allemands ont violé la neutralité belge par crainte de nos forts de l’Est et maintenant ils ont raison de ces ouvrages militaires presque sans coup férir. Si encore le Camp des Romains avait été écrasé par des obus de 420, comme, l’autre jour, le fort de Badonvillers, on comprendrait qu’il eut été enlevé en quelques heures ; mais on ne nous dit même pas qu’il ait succombé sous un bombardement intensif. J’insiste pour que la lumière soit faite sur les responsabilités de cet échec inexpliqué. Millerand me répond avec un peu d’impatience que la question ne regarde que le ministre responsable. Je réplique que j’ai le droit d’être renseigné. Plusieurs ministres, dont M. Marcel Sembat, m’appuient et le Conseil me donne raison. Les membres du gouvernement trouvent, d’ailleurs, presque tous qu’on les laisse beaucoup trop dans l’ignorance des opérations. Viviani se plaint qu’on ne lui communique rien. Il est allé jusqu’à dire à Ribot, qui me le répète : « Je ne sais pas ce qui se passe aux armées. Je ne puis obtenir aucun renseignement. Lorsque les Chambres se réuniront, je plaiderai coupable et je me retirerai. » Simple boutade, sans doute, mais qui prouve à quel point le président du Conseil trouve fâcheux l’isolement et le mutisme du quartier général.

Dans la soirée, Millerand me communique une fois de plus, par téléphone, le mot d’ordre journalier du commandement : « Tout va bien. » L’ennemi, paraIt-il, a attaqué sur tout le front et a été