Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/370

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de bataille de Sézanne et de Montmirail, ceux de 1814 et de 1914. C’est là qu’après un siècle d’absence et d’infidélité, la victoire nous est revenue. La vague allemande s’est brisée devant un village qui, par une rencontre ironique, porte le nom d’Allement. Dans cette commune et dans toutes celles des environs, les maisons sont démolies par les obus ou dévorées par les flammes. Mais les paysans sont partout rentrés au milieu des ruines et ils se sont empressés de reprendre dans les champs ensanglantés leurs travaux interrompus. C’est comme une résurrection qu’assombrit à peine le souvenir de la mort et qui fait apparaître, au-dessus des débris amoncelés, la force triomphale de la vie.

Nous visitons ce château de Mondement que la division marocaine a repris à la garde prussienne. Les officiers ennemis y festoyaient joyeusement, quand une de nos batteries s’est approchée dans la nuit et a tiré presque à bout portant. Les murs se sont écroulés sur les buveurs. Des centaines de bouteilles vides et des éclats de centaines d’autres jonchent la cour en témoignage de l’orgie allemande. Non loin de là, dans la campagne riante, une tombe française se reconnaît à une petite croix de bois et à un tertre frais, sur lequel sont posés des képis et quelques fleurs d’automne. Deux pauvres femmes y sont venues prier et pleurer. Nous faisons quelques pas encore et, dans un champ, près de la lisière d’un bois, nous trouvons les restes épars d’une batterie allemande, qui a été anéantie par nos 75. Une roue, des morceaux de caissons, du linge rougi par le sang, des chaussettes trouées, des paniers à munitions, du papier, des cartes postales françaises sur lesquelles court de