Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/421

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Déjeuner à Amiens, dans ce paisible hôtel du Rhin, où je suis naguère descendu avec Mme Poincaré, lorsque je suis venu plaider à la cour. Heureux temps, à jamais évanoui. Les deux mouettes apprivoisées qui s’ébattaient alors un peu mélancoliquement dans le jardin, sous la pluie d’un jet d’eau douce, sont encore là qui se promènent d’un air grave, avec la nostalgie de la mer. Joffre, venu du quartier général, déjeune avec nous. Observateur indiscret, mais inoffensif, un taube allemand survole la ville. Nous quittons Amiens, dès une heure et quart, dans une automobile à quatre places, où nous sommes montés, Ribot, Millerand, Joffre et moi. Le général en chef, toujours placide et souriant, accepte sans une déception trop visible les derniers renseignements que lui apporte le ministre de la Guerre sur la cadence, malheureusement encore bien lente, des fabrications en cours. Partout où nous passons, à Saint-Pol, à Saint-Omer, beaucoup d’animation. C’est la Toussaint ; les habitants vont en foule porter des fleurs dans les cimetières, où le nombre des morts grossit tous les jours. Près de Saint-Pol, un avion ennemi qui gronde au-dessus de nos têtes laisse tomber une bombe à une centaine de mètres de l’automobile qui nous suit et qui transporte nos officiers. Aucun accident. Sur les routes, innombrables convois anglais, belges et français. Nous arrivons à. Dunkerque vers cinq heures du soir et nous descendons chez un ami de M. Terquem, maire de la ville et capitaine de chasseurs à pied.

Depuis le 23 septembre, Dunkerque s’est protégée contre une incursion des Allemands par l’arme naturelle dont elle a si souvent fait usage :