Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/427

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De plus, avant d’envoyer sur le continent celles qu’on recrute, on doit les instruire. Il a trouvé le ministère de la Guerre britannique complètement dépourvu et il est obligé de tout improviser. Il loue donc en France des immeubles pour deux ans et il nous promet que peu à peu, d’ici à l’expiration de ce délai, des soldats viendront. En attendant, ceux qui sont déjà sur place nous aideront de leur mieux à supporter l’effort de l’ennemi commun. « Deux ans, deux ans, me dit Ribot, croit-il donc que la guerre va durer deux ans ? »

M. de Broqueville, premier ministre belge, qui préfère ne pas rejoindre le gouvernement royal au Havre, pour rester plus près du roi et de l’armée, est un tout autre homme que Kitchener. Ce n’est pas un militaire ; c’est un homme du monde, élégant, brun, les yeux noirs, la physionomie expressive, la parole facile, le sourire aux lèvres, mais on sent chez lui, comme chez Kitchener, un grand esprit de résolution, une force interne, une flamme qui ne s’éteint pas. Il paraît même beaucoup moins pessimiste que son collègue britannique. Foch, qui craint, comme moi, que Kitchener ne doute un peu de la patience française et ne nous tienne pour incapables des longs desseins, ne cesse, avant et pendant le repas du soir, de lui répéter : « Nous tiendrons, nous tiendrons. » Il me semble que le ministre anglais se rassure peu à peu sur nos dispositions. Sous des dehors tranquilles et presque indifférents, il cache, lui aussi, une volonté inflexible et, à défaut d’un enthousiasme communicatif, il mettra une belle ténacité au service des nations alliées.

Je retiens à dîner lord Kitchener, M. de Broqueville, les ministres français, les généraux présents