Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/436

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de sa terre natale. Je le connais depuis longtemps. Nous avons beaucoup de souvenirs communs, non seulement comme chasseurs à pied, mais comme voisins de campagne, car il commandait, avant la guerre, une brigade à Saint-Mihiel ! Nous visitons ensemble des hôpitaux qui sont malheureusement remplis de grands blessés et d’amputés. Aucun de ces hommes ne se plaint. Il y a vraiment aujourd’hui dans le peuple une sorte d’héroïsme instinctif, qui fait de la douleur une seconde nature et paraît rendre faciles les plus hautes vertus. Sur une place de Saint-Pol, sont rangés des chasseurs cyclistes, d’un « cran » magnifique. L’un d’eux, mutilé, m’est amené par deux camarades. Il s’est brillamment conduit au feu et ses chefs le jugent digne d’une récompense. Je lui remets la croix de la Légion d’honneur et lui donne l’accolade. Il s’écrie d’une voix vibrante : « Vive la France ! » La foule, massée sur les trottoirs, derrière les cyclistes, applaudit, très émue.

Après un déjeuner rapide à la sous-préfecture, en compagnie du général de Maud’huy, je pars pour Haute-Avesnes, poste de commandement d’un des corps qui composent son armée. Dans une petite prairie auprès du village, quelques troupes sont alignées, pour recevoir de mes mains des décorations et des médailles. Le canon accompagne d’un roulement continu la sonnerie : « Au drapeau ! » Nous faisons ensuite quelques kilomètres à pied pour aller sur la route jusqu’à hauteur de ce mont Saint-Éloi, dont le nom revient si souvent dans les communiqués officiels du G. Q. G. Les. Allemands le bombardent sans trêve et la fumée des éclatements l’enveloppe d’une