Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de batteries de 90 et de 105, masquées au milieu des hêtres et des chênes. Le canon ne cesse pas de gronder. Le général Gérard me dit que les Allemands rongent un peu, chaque jour, notre front de l’Argonne. Ils nous enlèvent environ cent mètres par mois et cette persistance à essayer d’avancer, dans une zone déterminée, suivant une même direction, paraît indiquer qu’ils n’abandonnent pas l’idée d’investir Verdun.

Le général Sarrail, qui commande la 3e armée, nous attend dans cette gracieuse commune de» Islettes, dont la population vit courageusement sous la menace de l’ennemi. Je suis, pour les habitants, l’ancien sénateur de la Meuse beaucoup plutôt que le Président de la République et il» m’accueillent avec un empressement familier. À Clermont-en-Argonne, où mon père et ma mère sont venus si souvent, dans leurs vieux jours, respirer l’air pur des bois et des prairies, je ne retrouve guère aujourd’hui que des débris de maisons incendiées. C’est le 5 septembre que, sans aucun motif, des soldats wurtembergeois et des uhlans du prince Wittgenstein ont mis le feu à cette malheureuse petite ville. Seul ou à peu près, l’hôpital de Clermont a été sauvé, grâce à l’énergie de sœur Gabrielle, qui est allée trouver un général allemand au milieu de son état-major et lui a dit : « Vos officiers m’avaient donné leur parole que l’hôpital serait épargné ; ils l’ont reniée. Jamais un officier français n’agirait ainsi. » Un moment irrité de cette fière attitude, le général a cependant fini par interdire de brûler l’hôpital2. Je félicite