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RAYMOND POINCARÉ

de briser à la légère une alliance qui, depuis de longues années, avait contribué à notre sécurité.

M. Viviani s’est empressé d’envoyer copie de ce télégramme à M. Paul Cambon et, sur mon conseil, il a ajouté : Je vous prie de communiquer d’urgence ce qui précède à sir Ed. Grey et de lui rappeler les lettres que vous avez échangées avec lui en 1912 au sujet de l’examen auquel les deux gouvernements doivent procéder en commun en cas de tension européenne.

Chiffrés aussitôt que possible, ces deux télégrammes sont partis à sept heures du matin. Mais auparavant, au cours même de la nuit, M. Viviani avait fait communiquer à M. Isvolsky celui qui était destiné à M. Paléologue. L’ambassadeur de Russie est allé, dans la matinée du 30, voir le président du Conseil au Quai d’Orsay. Il lui a dit que son attaché militaire, le comte Ignatief, venait de demander à M. Messimy comment pouvait se traduire, en langage technique, la recommandation du gouvernement français et que M. Messimy avait conseillé la suspension de la mobilisation et particulièrement l’arrêt des transports de troupes en masse. M. Viviani a répondu que cet avis était, en effet, conforme à la pensée du gouvernement, et M. Isvolsky a promis de le communiquer à M. Sazonoff.

Au moment où la recommandation de M. Viviani arrive à Saint-Pétersbourg, quel est, autant qu’on en puisse juger, l’état d’esprit du gouvernement russe ? Le 28 juillet, après la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie, le tsar Nicolas II a envoyé de Peterhof au Kaiser le télégramme que l’on connaît : Je suis heureux que tu sois rentré en Allemagne. En ce moment si grave, je te prie instamment de venir à mon aide. Une guerre ignoble a été déclarée à un faible pays… Pour prévenir la calamité que serait une guerre européenne, je te prie, au nom de notre vieille amitié, de faire tout ce qui sera en ton pouvoir pour empêcher ton alliée d’aller trop loin. Nicky. Guillaume lit ce télégramme suppliant. Il l’annote. Il met deux points d’exclamation en face des mots « guerre ignoble » et il ajoute : Aveu de sa propre faiblesse et essai de m’attribuer la responsabilité de la guerre. Le télégramme contient une menace cachée et une sommation pareille à un ordre d’arrêter le bras de l’alliée.

De son côté, Guillaume a envoyé à Nicolas un télégramme qui a pour objet l’apologie de l’action autrichienne :

C’est avec la plus grande inquiétude que j’ai appris l’impression qu’a produite sur ton Empire la marche en avant de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie. L’agitation sans scrupule qui se poursuit depuis des années en Serbie a conduit au monstrueux attentat dont l’archiduc François-Ferdinand a été la victime. Sans doute, conviendras-tu avec moi que tous deux, toi aussi bien que moi, nous avons, comme tous les souverains, un intérêt commun à insister pour que ceux qui sont responsables