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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/99

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

M. Sazonoff n’invoque, et pour cause, aucune promesse faite à Peterhof ou ailleurs par le président de la République, aucun mot prononcé par moi, soit dans une conversation avec le ministre. Il va sans dire cependant que, si un engagement quelconque avait été pris par M. Viviani ou par moi pendant notre voyage, M. Sazonoff n’aurait pas manqué de s’en prévaloir dans un appel aussi pressant que celui qu’il adressait à Paris. Cette simple constatation permet de faire justice de l’absurde légende qu’on a essayé de répandre et à laquelle on a récemment tenté de donner corps en commentant avec une légèreté fantaisiste la dépêche de sir G. Buchanan envoyée le lendemain de mon départ à sir Ed. Grey. M. Sazonoff invoque et ne peut invoquer qu’une déclaration faite par M. Paléologue, non pas en mon nom, mais au nom du gouvernement français. Quand cette déclaration a-t-elle été faite ? Lorsque M. Paléologue a reçu de M. Viviani le télégramme parti de notre cuirassé le 27 juillet 1914 et contenant cette phrase : Veuillez dire à M. Sazonoff que la France, appréciant, comme la Russie, la haute importance qui s’attache pour les deux pays à affirmer leur parfaite entente au regard des autres Puissances et à ne négliger aucun effort en vue de la solution du conflit, est prête à seconder entièrement dans l’intérêt de la paix générale l’action du gouvernement impérial. Mais cette déclaration était indivisible. Elle avait été faite dans l’intérêt de la paix générale, à une heure où l’Autriche n’avait pas encore déclaré la guerre à la Serbie et où nous ne supposions pas que la Russie pût songer à mobiliser. M. Viviani trouvait donc, non sans raison, que M. Sazonoff interprétait maintenant, dans un sens un peu large, les assurances qu’avait pu lui donner M. Paléologue. Il tenait, me disait-il, à mettre immédiatement les choses au point. Il avait donc préparé, pour Saint-Pétersbourg, un télégramme que j’ai pleinement approuvé et dont voici le texte : Comme je vous l’ai indiqué dans mon télégramme du 27 de ce mois (celui-là même qui avait déterminé la déclaration de M. Paléologue), le gouvernement de la République est décidé à ne négliger aucun effort en vue de la solution du conflit et à seconder l’action du gouvernement impérial dans l’intérêt de la paix générale. La France est, d’autre part, résolue à remplir toutes les obligations de l’alliance. Mais, dans l’intérêt même de la paix générale et étant donné qu’une conversation est engagée entre les Puissances moins intéressées, je crois qu’il serait opportun que, dans les mesures de précaution et de défense auxquelles la Russie croit devoir procéder, elle ne prît immédiatement aucune disposition qui offrît à l’Allemagne un prétexte pour une mobilisation.

Cette recommandation n’était pas seulement sage ; elle était, aux termes mêmes du traité, conforme à nos droits de puissance alliée ; elle ne négligeait pas non plus nos devoirs et elle ne pouvait pas avoir pour effet