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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

l’armée et de la marine allemandes. En conséquence, le gouvernement russe a résolu de procéder secrètement aux premières mesures de mobilisation générale. En m’informant de cette décision, M. Sazonoff a ajouté que le gouvernement russe n’en continuera pas moins ses efforts de conciliation. Il m’a répété : « Jusqu’au dernier moment, je négocierai. »

Que s’était-il donc passé, depuis le matin du 30, à Saint-Pétersbourg ? L’Empereur avait effectivement reçu à 6 h. 30 du soir un télégramme de Guillaume parti de Berlin à 3 h. 30 et contenant ces mots : Si la Russie mobilise contre l’Autriche-Hongrie, la mission de médiateur, que j’ai acceptée sur ton instante prière, sera compromise, sinon même rendue impossible. Tout le poids de la décision à prendre pèse actuellement sur tes épaules, qui auront à supporter la responsabilité de la guerre ou de la paix.

Mais, avant même l’arrivée de ce télégramme, une évolution nouvelle s’était produite dans les esprits. Entre 9 et 10 heures du matin, M. Sazonoff s’était entretenu avec le ministre de l’Agriculture et tous deux s’étaient trouvés fort inquiets de l’arrêt de la mobilisation générale, parce qu’ils se rendaient compte que cette mesure menaçait de placer la Russie dans une position extrêmement difficile si les rapports avec l’Allemagne devenaient moins bons. À 11 heures, le ministre des Affaires étrangères se rencontre de nouveau avec le ministre de la Guerre et le chef d’État-major général. Les informations reçues pendant la nuit ont, paraît-il, renforcé leur opinion commune qu’il est indispensable de se préparer, sans perte de temps, à une guerre avec les Empires du Centre, et, par conséquent, de reprendre l’idée d’une mobilisation générale. Soukhomlinoff et Yanoushkévitch s’efforcent alors de nouveau, par téléphone, de convaincre l’Empereur que mieux vaudrait revenir à sa première décision de la veille et permettre enfin cette mobilisation générale. L’Empereur refuse net et coupe court à la conversation. En désespoir de cause, Yanoushkévitch lui demande d’entendre au moins M. Sazonoff à l’appareil. Après un silence qui marquait une hésitation, l’Empereur accepte. Le ministre des Affaires étrangères prie aussitôt le souverain de le recevoir à Peterhof dans l’après-midi et Nicolas II finit par lui donner audience à trois heures. M. Sazonoff est fidèle au rendez-vous et, en présence du général Tatischtcheff, attaché militaire russe à Berlin, qui compte regagner son poste le soir même, il insiste longuement auprès du Tsar, pour lui démontrer l’urgence d’une mobilisation générale. Il indique que la mobilisation allemande, si elle n’est pas officiellement décrétée, n’en est pas moins commencée. Il fait valoir les arguments des généraux Soukhomlinoff et Yanoushkévitch et très péniblement il obtient le consentement de l’Empereur. Vers six heures du soir, l’ukase qui ordonne la mobilisation générale est transmis aux circonscriptions militaires.