Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
RAYMOND POINCARÉ

À 2 h. 5, M. Jules Cambon adresse au Quai d’Orsay un télégramme qui arrive à 15 h. 50 : D’après ce que le sous-secrétaire d’État (M. Zimmermann) a dit à un de mes collègues, qui me l’a répété, les télégrammes de l’empereur d’Allemagne et de l’empereur de Russie, qui se sont croisés, étaient très cordiaux, mais n’ont rien changé à la situation. Je suis frappé combien, dans la masse du public et notamment à Hambourg, on se montre sceptique à l’égard de l’intervention de l’Angleterre. Il y a là un danger. Mon collègue sir Ed. Goschen, à qui je l’ai signalé, croit que, si l’Angleterre manifestait ouvertement ses intentions, il serait à craindre que la Russie ne se montrât intransigeante et que la détente ne fût plus difficile. Je lui ai répondu que, sans faire une manifestation publique comme celle de Lloyd George en 1911, une déclaration visant l’éventualité d’une attaque contre la France pourrait être faite verbalement soit par sir Ed. Grey au prince Lichnowsky, soit par l’ambassadeur d’Angleterre à M. de Jagow. Je crains, en effet, que le vague des déclarations de sir Ed. Goschen ne soit de nature à entretenir ici des illusions et il importerait de les dissiper. Les journaux allemands annoncent ce matin, d’après le Times, que l’Angleterre ne prendra de précautions que pour assurer sa sécurité personnelle. Il est possible que cette déclaration de la (mot passé) anglaise ait pour objet de ne pas envenimer le débat, mais il ne faudrait pas que le gouvernement (allemand) y puisât une confiance dangereuse. Cela impressionne même, d’après ce qui me revient, les Russes qui sont à Berlin. Signé : J. Cambon.

Par une heureuse coïncidence, sir Francis Bertie m’a demandé audience pour ce soir. Il m’apporte un message de félicitations de sir Ed. Grey sur le succès de ma visite à Saint-Pétersbourg. « Au milieu de la nuit dernière, lui dis-je, le gouvernement français a reçu avis que le gouvernement allemand avait informé le gouvernement russe que, si la Russie n’arrêtait pas sa mobilisation partielle, l’Allemagne mobiliserait. Cette après-midi, un nouveau rapport de Saint-Pétersbourg nous a appris que la communication allemande avait été modifiée et qu’il y avait été substitué cette question : « À quelles conditions la Russie consentirait-elle à démobiliser ? » La Russie a répondu : « Nous démobiliserons si l’Autriche veut bien donner l’assurance qu’elle respectera la souveraineté de la Serbie et si elle consent à soumettre à une discussion internationale certaines des demandes de la note autrichienne non acceptées par la Serbie. » Je ne crois pas que le gouvernement austro-hongrois accepte les conditions russes. Voyez-vous, mon cher ambassadeur, je suis convaincu que la préservation de la paix entre les Puissances est dans les mains de l’Angleterre. Si le gouvernement de Sa Majesté annonçait que, dans l’éventualité d’un conflit entre l’Allemagne et la France résultant du différend actuel entre l’Autriche et la Serbie, l’Angleterre viendrait en aide à la France, il n’y aurait pas de