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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

À onze heures, sir Francis Bertie fait remettre au Quai d’Orsay une note qui a le tort de beaucoup d’autres, dans cette phase si remplie d’événements : elle paraît retarder un peu. Il y est dit que l’ambassadeur d’Allemagne à Londres a été chargé par le chancelier impérial d’informer sir Ed. Grey que le gouvernement allemand s’efforce de s’interposer entre Vienne et Saint-Pétersbourg. Sir Ed. Grey a répondu au prince Lichnowsky qu’une entente conclue directement entre l’Autriche et la Russie serait la meilleure solution possible et qu’aussi longtemps qu’il y aurait espoir d’atteindre ce résultat le cabinet britannique laisserait en suspens toute autre proposition. Mais, depuis cette conversation, sir Ed. Grey a appris, dit-il, que l’Autriche s’était dérobée aux ouvertures du gouvernement russe. D’un autre côté, l’Allemagne semble croire que la méthode d’une conférence ou même de conversations entre quatre Puissances à Londres est too formal a method. Sir Ed. Grey nous prévient donc qu’il insiste auprès du gouvernement allemand pour que celui-ci indique, à son tour, une procédure qui permette à ces quatre Puissances de prévenir une guerre entre l’Autriche et la Russie. La France et l’Italie, constate le secrétaire d’État britannique, ont complètement adhéré à cette manière de faire. La médiation est, en fait, toute prête à être mise en œuvre dans la forme que désirera l’Allemagne, si seulement celle-ci est disposée à presser le bouton (press the button) dans l’intérêt de la paix.

Mais visiblement l’Allemagne ne veut pas presser le bouton. Autrement, il lui eût été facile d’empêcher le bombardement de Belgrade et d’accepter plus tôt et sans réticences la médiation. Même encore à l’heure présente, si les quatre Puissances se réunissaient à Londres, comme le demande sir Ed. Grey, comme l’Italie et nous, nous l’acceptons, elles seraient, sans doute, par leur rencontre même et par leur union, assez fortes pour agir à la fois sur l’Autriche et sur la Russie. Pourquoi l’Allemagne s’obstine-t-elle à faire bande à part ?

Cependant, M. Jules Cambon nous signale entre temps une faible éclaircie. Il a trouvé aujourd’hui M. de Jagow assez troublé. L’ambassadeur a demandé au ministre s’il était vrai que l’Autriche eût commencé à faire entrer ses troupes en Serbie. M. de Jagow n’en savait rien. « Remarquez, lui a dit M. Jules Cambon, que, si la nouvelle est vraie, le prestige de l’Autriche n’est plus en jeu et qu’elle peut maintenant accepter, sans la moindre atteinte à sa dignité, la médiation des quatre Puissances désintéressées. — En effet, a répondu M. de Jagow, c’est autre chose. » M. Jules Cambon a rapporté ce mot à son collègue d’Angleterre, qui en a été frappé et qui en a fait part à Londres. Mais attendons la suite.