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RAYMOND POINCARÉ

Paris à 12 h. 50, vient nous apporter une preuve surabondante de l’impossibilité d’ajourner la mobilisation : L’ambassadeur d’Allemagne vient de déclarer au gouvernement russe que la mobilisation générale allemande sera ordonnée demain matin 1er  août. Cette décision était donc prise à Berlin dès hier, alors que nous-mêmes nous avions, au contraire, retardé la nôtre. Mais le télégramme de M. Paléologue est incomplet et l’Allemagne ne s’est pas contentée à Pétersbourg d’annoncer pour ce matin sa propre mobilisation. M. Isvolsky informe M. Viviani qu’en réalité le comte de Pourtalès est venu, à minuit, déclarer à M. Sazonoff, d’ordre de son gouvernement, que si, dans les douze heures, c’est-à-dire le samedi 1er  août, à midi, la Russie ne commence pas sa démobilisation, non seulement du côté de l’Allemagne, mais du côté de l’Autriche, le gouvernement de Berlin se verra obligé de décréter lui-même sa mobilisation. En d’autres termes, la Russie est sommée de démobiliser. Devant cette injonction, M. Sazonoff a demandé à l’ambassadeur d’Allemagne : « Votre démarche signifie-t-elle la guerre ? — Non, a répondu M. de Pourtalès, mais on en est très près. »

Vers cinq heures et demie de l’après-midi, M. Viviani reçoit de nouveau la visite de M. de Schœn.

L’ambassadeur vient seulement de lire un télégramme (no 184) de M. Bethmann-Hollweg, parti de Berlin à 1 h. 5 et ainsi conçu : Votre Excellence est autorisée, le cas échéant, à accorder au gouvernement français, pour répondre à notre proposition éventuelle, un délai supplémentaire de deux heures, jusqu’à trois heures, heure française. La proposition éventuelle, c’était non seulement celle qui avait trait à la neutralité, mais aussi celle qui concernait l’occupation de Toul et de Verdun.

Trois heures sont passées. M. de Schœn court donc au Quai d’Orsay, et, après avoir vu M. Viviani, il rend compte en ces termes à la Wilhelmstrasse de cette nouvelle conversation : Paris, le 1er  août 1914, 7 h, soir. Le télégramme 184 ne m’est parvenu qu’après trois heures. Dans un nouvel entretien avec le président du Conseil à 5 h. 30, celui-ci, en dépit de mon insistance, maintient la formule de cette après-midi au sujet de l’attitude de la France au cas d’une guerre russo-allemande. Le président du Conseil m’a déclaré que la mobilisation qu’on venait d’ordonner (premier jour dimanche) ne signifiait nullement des intentions agressives, ce qui serait également confirmé dans la proclamation. Il y avait toujours place pour la continuation des négociations sur la base de la proposition de sir Ed. Grey, à laquelle la France donne son assentiment et qu’elle soutient chaleureusement. On a pris soin, du côté français, d’éviter les incidents de frontière par l’évacuation d’une zone de dix kilomètres. Il ne pouvait pas renoncer à l’espoir de sauvegarder la paix. Schœn.

Quiconque a connu M. Viviani ne mettra pas un seul instant en doute