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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

annoncé au Conseil : « La France s’inspirera de ses intérêts. » L’ambassadeur reste un instant silencieux et reprend : « J’avoue que ma question est un peu naïve. Vous avez un traité d’alliance ? — Parfaitement. » Sur quoi, malgré ce qu’il a dit hier, M. de Schœn ne demande plus ses passeports et paraît presque satisfait.

La conversation continue, très courtoise de part et d’autre. M. Viviani explique lui-même le caractère indécis de sa déclaration par le fait que, depuis hier, il trouve la situation améliorée. L’Autriche-Hongrie a déclaré qu’elle ne voulait pas porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Serbie. Sir Ed. Grey renouvelle ses démarches pour l’ouverture de négociations à quatre et la suspension des préparatifs militaires. « À quoi tend l’ultimatum de l’Allemagne ? demande M. Viviani. Il peut tout briser. La Russie et l’Autriche vont peut-être s’accorder. Voilà huit jours que nous cherchons ce résultat. » M. de Schœn s’excuse de n’avoir pas de renseignements sur l’état des pourparlers engagés ; il assure qu’il aime beaucoup la France et fera tout ce qui dépendra de lui en faveur de la paix. M. Viviani le remercie et revient à l’Élysée, le front moins soucieux. Il annonce aux ministres assemblés que l’ambassadeur n’a plus parlé de son départ et que tout est peut-être sur le point de s’arranger. Je voudrais l’espérer, mais j’ai le sentiment que M. de Schœn n’est pas venu hier soir et ce matin, pour se contenter maintenant d’une réponse dilatoire.

M. Messimy, ministre de la Guerre, a reçu, dès huit heures du matin, une nouvelle note du général Joffre. D’après les renseignements que possède le généralissime, l’Allemagne, sous le couvert du Kriegsgefahrzustand, est maîtresse de procéder, en fait, à une mobilisation intégrale, et elle n’y manque point. Je vous répète ce que je vous ai dit hier, insiste le général Joffre : si le gouvernement tarde à donner l’ordre de mobilisation générale, il m’est impossible de continuer à assumer la responsabilité écrasante des hautes fonctions dont sa confiance m’a investi. Très frappé de cet appel réitéré, M. Messimy m’a amené le général à neuf heures et m’a demandé de l’autoriser à présenter au Conseil des observations techniques. Entendu par les ministres, Joffre leur apparaît sous la figure placide d’un homme calme et décidé, qui redoute seulement que la France, devancée par la mobilisation allemande, la plus rapide de toutes, ne se trouve bientôt dans un état irrémédiable d’infériorité. Le Conseil, qui a remis hier à ce matin l’examen de la question, ne croit plus pouvoir reculer l’ordre de mobilisation. Le ministre de la Guerre est autorisé à l’expédier, l’après-midi, à quatre heures.

À peine le Conseil est-il terminé qu’un télégramme de M. Maurice Paléologue, parti de Saint-Pétersbourg à 1 h. 25 du matin et arrivé à