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raymond poincaré

dans l’intérêt même de la concorde, a dû renoncer provisoirement à son idée. Ses choix, du reste, n’ont fait que déplacer les mécontentements. Ils ont déçu quelques candidats ministres, qui se sont plaints dans les couloirs des Chambres et y ont jeté un peu d’amertume sur les dalles. Un souffle purifiant a bientôt balayé tous les miasmes. Le patriotisme a pris le dessus. Sénateurs et députés, tous revenus successivement à Paris, se sont groupés autour du cabinet reconstitué.

Ce matin, à neuf heures, le prince Ruspoli, chargé d’affaires de l’ambassade d’Italie, remplaçant M. Tittoni, en croisière sur les côtes de Norvège, a rendu visite à M. Viviani et lui a notifié officiellement la déclaration de neutralité. L’Italie reste neutre, parce que l’Allemagne et l’Autriche ont entrepris une guerre d’agression et que leur conduite la dégage de ses obligations envers elles. La Triple-Alliance est rompue. Comme pour mieux montrer encore que l’Italie ne se trompe pas dans sa manière d’apprécier la nature et la signification de cette guerre, l’empire d’Allemagne vient de faire à Bruxelles une démarche cynique qui ne laisse plus aucun doute sur ses desseins.

Le dimanche 2 août, à sept heures du soir, une auto s’arrête rue de la Loi, devant le portail du ministère des Affaires étrangères. C’est M. de Below-Saleske. Il entre dans le cabinet du ministre et lui dit, avec l’accent d’une réelle émotion : « J’ai une communication tout à fait confidentielle à vous faire de la part de mon gouvernement, » Et, tirant un pli de la poche de sa redingote, il remet à M. Davignon le fatal ultimatum. Le ministre le lit, devient pâle et murmure : « Non, n’est-ce pas ? ce n’est pas possible. — Si, répond M. de Below-Saleske. L’Allemagne est pacifique, mais il faut bien qu’elle se défende contre la prochaine offensive que vont faire les Français par la vallée de la Meuse. » M. Davignon répond que cette attaque des Français vers Namur est tout à fait invraisemblable ; il proteste de la loyauté de la Belgique et déclare à M. de Below que la note allemande va être examinée sans retard par le Conseil des ministres.

Le ministre d’Allemagne parti, M. Davignon met au courant le baron de Gaiffier, directeur politique, et le baron Van der Elst, secrétaire général, et il fait prévenir M. de Broqueville, chef du gouvernement et ministre de la Guerre. Pendant qu’on traduit mot à mot l’ultimatum, M. de Broqueville arrive, prend connaissance de la pièce, et aussitôt se rend chez le Roi, qui décide de convoquer, pour neuf heures, au Palais, le Conseil des ministres, d’y faire venir également tous les ministres d’État et d’y adjoindre les généraux de Selliers de Moranville et de Ryckel, chef et sous-chef de l’État-major. Le Conseil de la Couronne délibère longuement sous la présidence du roi Albert, qui a revêtu, pour cette