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comment fut déclarée la guerre de 1914

circonstance solennelle, la tenue de campagne de lieutenant-général. M. Davignon lit, au milieu d’un profond silence, la traduction de l’ultimatum. À la demande de plusieurs assistants, il recommence même une seconde fois cette lecture : Le gouvernement allemand a reçu des nouvelles sûres d’après lesquelles les forces françaises auraient l’intention de marcher sur la Meuse par Givet et Namur. Ces nouvelles ne laissent aucun doute sur l’intention de la France de marcher sur l’Allemagne par le territoire belge. Le gouvernement impérial allemand ne peut s’empêcher de craindre que la Belgique, malgré sa bonne volonté, ne soit pas en mesure de repousser sans secours une marche française d’un si grand développement. Dans ce fait, on trouve une certitude suffisante d’une menace déjà dirigée contre l’Allemagne. Ce préambule mensonger ne peut tromper aucun membre du Conseil de la Couronne. Ils savent tous que l’accusation portée contre la France est fausse et que le gouvernement de la République s’est engagé à respecter la neutralité belge, alors que le gouvernement impérial a refusé de prendre cet engagement. Ils écoutent donc ce premier paragraphe avec stupéfaction.

C’est un devoir impérieux de conservation pour l’Allemagne de prévenir cette attaque de l’ennemi. Le gouvernement allemand regretterait très vivement que la Belgique regardât comme un acte d’hostilité contre elle le fait que les mesures des ennemis de l’Allemagne l’obligent à violer de son côté le territoire belge. L’hypocrisie de ces formules révolte les auditeurs. Mais que serait-ce s’ils savaient qu’elles ont été préparées dès le 26 juillet ? Et la suite du texte les indigne plus encore : L’Allemagne n’a en vue aucun acte d’hostilité contre la Belgique. Si la Belgique consent, dans la guerre qui va commencer, à prendre une attitude de neutralité amicale vis-à-vis de l’Allemagne, le gouvernement allemand, de son côté, s’engage au moment de la paix à garantir le royaume et ses possessions dans toute leur étendue… …Si la Belgique se comporte d’une façon hostile contre les troupes allemandes et particulièrement fait des difficultés à leur marche en avant par une opposition des fortifications de la Meuse ou par des destructions de routes, chemins de fer, tunnels ou autres ouvrages d’art, l’Allemagne sera obligée de considérer la Belgique en ennemie… La lecture terminée, M. de Broqueville prend la parole et, en quelques mots vigoureux, trace leur devoir à ses collègues : « Mourir pour mourir, dit-il, autant mourir avec honneur. Or nous n’avons que le choix entre ces deux morts. Notre soumission ne sauverait rien. La lutte que l’Allemagne a entreprise met en jeu la liberté de l’Europe. Ne nous le dissimulons pas ; si l’Allemagne est victorieuse, la Belgique, quelle que soit son attitude, sera annexée à l’Empire. »

Interrogés successivement par le roi Albert, les ministres en fonctions et les ministres d’État répondent à l’unanimité qu’il est impossible de céder à l’ultimatum. La rédaction de la réponse est confiée à M. Carton de Wiart, ministre de la Justice, et à MM. Van den Heuvel et Paul