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comment fut déclarée la guerre de 1914

M. de Schœn. Il reçoit l’ambassadeur, en présence de M. de Margerie. « Monsieur le président, lui dit M. de Schœn avec quelque animation, nous venons d’être insultés, mon Empereur et moi. Une dame m’a injurié près de ma voiture. — Vous veniez ici ? — Oui. — Vous ne veniez donc pas vous plaindre de cet incident ? — Non. — Je vous présente mes regrets et mes excuses. » M. de Schœn incline la tête et se tait. Puis il sort un document de sa poche et le lit. C’est une lettre signée de lui et ainsi conçue : Monsieur le président, les autorités administratives et militaires allemandes ont constaté un certain nombre d’actes d’hostilité caractérisée commis sur le territoire allemand par des aviateurs militaires français. Plusieurs de ces derniers ont manifestement violé la neutralité de la Belgique, survolant le territoire de ce pays ; l’un a essayé de détruire des constructions près de Wesel, d’autres ont été aperçus sur la région de l’Eifel, un autre a jeté des bombes sur le chemin de fer près de Karlsruhe et de Nuremberg. Je suis chargé et j’ai l’honneur de faire connaître à Votre Excellence qu’en présence de ces agressions l’Empire allemand se considère en état de guerre avec la France, du fait de cette dernière Puissance. La lettre se termine par la demande des passeports pour M. de Schœn et pour le personnel de l’ambassade.

M. Viviani écoute cette lecture en silence et prend la pièce que lui remet l’ambassadeur. Alors, il proteste contre l’injustice et l’insanité de la thèse impériale. Il rappelle que, très loin d’avoir permis des incursions sur le territoire allemand, la France a tenu ses troupes à dix kilomètres en deçà de la frontière et que ce sont, au contraire, des patrouilles allemandes qui sont venues, sur notre sol et à cette distance, tuer nos soldats.

M. de Schœn déclare ne rien savoir ; il n’a plus rien à dire ; M. Viviani non plus. Le président du Conseil accompagne l’ambassadeur jusque dans la cour du ministère et attend que M. de Schœn soit monté dans sa voiture. L’ambassadeur salue profondément et s’en va. Le lendemain, il rentrera paisiblement en Allemagne, traité par les autorités françaises avec tous les égards possibles, pendant que M. Jules Cambon, obligé par la déclaration de guerre de quitter Berlin, se verra refuser la route choisie par lui, devra payer en or, les chèques n’étant pas acceptés, le transport des agents de l’ambassade, et voyager enfermé dans un wagon, comme une sorte de prisonnier.

M. Viviani vient à l’Élysée me rapporter cette tragique conversation. Il est exaspéré contre la mauvaise foi du gouvernement allemand. Plus tard, lorsqu’il écrira sa Réponse au Kaiser, il s’exprimera encore avec la même force d’indignation.

Or, voici les faits, tels qu’ils sont maintenant établis et tels que les rappelle M. Viviani. Dans l’après-midi du 2 août, le ministre impérial à Munich, M. Treutler, télégraphiait à M. de Jagow : L’information